jeudi 28 mai 2009

"Ce qui nous arrive, à mes camarades et à moi, vous arrive aussi bien"



Un train lancé à grande vitesse, bientôt le mur, et le big-bang libérateur ?
C'est l'image qui me vient à l'esprit en lisant la réponse de Julien Coupat, "terroriste", aux questions du Monde du 25 mai 2009.
Tout lien avec mon post du 24 mai dernier, "Belle Vue", le Portugal en émeutes, est évidemment indépendant de ma volonté.

Extraits :

"Le flou qui entoure la qualification de "terrorisme", l'impossibilité manifeste de le définir ne tiennent pas à quelque provisoire lacune de la législation française : ils sont au principe de cette chose que l'on peut, elle, très bien définir : l'antiterrorisme dont ils forment plutôt la condition de fonctionnement. L'antiterrorisme est une technique de gouvernement qui plonge ses racines dans le vieil art de la contre-insurrection, de la guerre dite "psychologique", pour rester poli.

L'antiterrorisme, contrairement à ce que voudrait insinuer le terme, n'est pas un moyen de lutter contre le terrorisme, c'est la méthode par quoi l'on produit, positivement, l'ennemi politique en tant que terroriste. Il s'agit, par tout un luxe de provocations, d'infiltrations, de surveillance, d'intimidation et de propagande, par toute une science de la manipulation médiatique, de l'"action psychologique", de la fabrication de preuves et de crimes, par la fusion aussi du policier et du judiciaire, d'anéantir la "menace subversive" en associant, au sein de la population, l'ennemi intérieur, l'ennemi politique à l'affect de la terreur.

[...]

Le partage ne passe donc pas, comme le voudrait la fiction judiciaire, entre le légal et l'illégal, entre les innocents et les criminels, mais entre les criminels que l'on juge opportun de poursuivre et ceux qu'on laisse en paix comme le requiert la police générale de la société. La race des innocents est éteinte depuis longtemps, et la peine n'est pas à ce à quoi vous condamne la justice : la peine, c'est la justice elle-même, il n'est donc pas question pour mes camarades et moi de "clamer notre innocence", ainsi que la presse s'est rituellement laissée aller à l'écrire, mais de mettre en déroute l'hasardeuse offensive politique que constitue toute cette infecte procédure.

[…]

Détrompez-vous : ce qui nous arrive, à mes camarades et à moi, vous arrive aussi bien.

[…]

La révolte a des conditions, elle n'a pas de cause. Combien faut-il de ministères de l'Identité nationale, de licenciements à la mode Continental, de rafles de sans-papiers ou d'opposants politiques, de gamins bousillés par la police dans les banlieues, ou de ministres menaçant de priver de diplôme ceux qui osent encore occuper leur fac, pour décider qu'un tel régime, même installé par un plébiscite aux apparences démocratiques, n'a aucun titre à exister et mérite seulement d'être mis à bas ? C'est une affaire de sensibilité.

La servitude est l'intolérable qui peut être infiniment tolérée. Parce que c'est une affaire de sensibilité et que cette sensibilité-là est immédiatement politique (non en ce qu'elle se demande "pour qui vais-je voter ?", mais "mon existence est-elle compatible avec cela ?"), c'est pour le pouvoir une question d'anesthésie à quoi il répond par l'administration de doses sans cesse plus massives de divertissement, de peur et de bêtise. Et là où l'anesthésie n'opère plus, cet ordre qui a réuni contre lui toutes les raisons de se révolter tente de nous en dissuader par une petite terreur ajustée.

Nous ne sommes, mes camarades et moi, qu'une variable de cet ajustement-là. On nous suspecte comme tant d'autres, comme tant de "jeunes", comme tant de "bandes", de nous désolidariser d'un monde qui s'effondre. Sur ce seul point, on ne ment pas. Heureusement, le ramassis d'escrocs, d'imposteurs, d'industriels, de financiers et de filles, toute cette cour de Mazarin sous neuroleptiques, de Louis Napoléon en version Disney, de Fouché du dimanche qui pour l'heure tient le pays, manque du plus élémentaire sens dialectique. Chaque pas qu'ils font vers le contrôle de tout les rapproche de leur perte. Chaque nouvelle "victoire" dont ils se flattent répand un peu plus vastement le désir de les voir à leur tour vaincus. Chaque manœuvre par quoi ils se figurent conforter leur pouvoir achève de le rendre haïssable. En d'autres termes : la situation est excellente. Ce n'est pas le moment de perdre courage."

mardi 26 mai 2009

3 réalisateurs à suivre, 3 films à voir



"On n’a peut-être pas vu de film aussi inventif que Canção de amor e saúde, du Portugais João Nicolau. Proche de Miguel Gomes, Nicolau possède déjà la truculence d’un Monteiro plein de férocité ou d’un Moullet tartiné au désespoir. Canção est son deuxième court métrage. Cela fait donc deux fois qu’il nous fait le coup : on est face à son cinéma comme des gosses, on hallucine, on se dit qu’il est très très fort, mais on n’a toujours pas compris comment il fait." (Libération)

"Et s’il pourrait pourtant s’en tenir à la brillance fauve d’une écriture à la sentimentalité détachée souvent bouleversante, Chanson d’amour et de bonne santé expérimente, essaie beaucoup, et à mesure qu’y prolifère la tentative du coup d’éclat tranquille, le film de Nicolau embrasse avec superbe dans sa constance le risque d’éblouir à chaque fois." (Les Inrocks)

Ci-dessous une longue interview avec João Nicolau lors de la présentation de son premier court-métrage, Rapace, à Cannes en 2006 :



Synopsis de Rapace :

Après avoir obtenu son diplôme de maîtrise, Hugo se repose la tête d’avoir lu sans relâche des textes d’auteurs inconnus. Sa seule compagnie est Luisa, la femme de ménage, avec qui il joue au chat et à la souris. Pour éviter de se ramollir, Hugo exerce sa veine lyrique en écrivant avec son ami Manuel des chansons sur leur voisinage. Leur dilettantisme tranquille est perturbé par Catarina, une jeune et belle traductrice qui se lance dans la vie professionnelle en free-lance. Hugo est mordu et tremblant. Haut dans le ciel, un faucon crécerelle plane. Ce n’est pas le seul rapace à savoir le faire.

Quant à Miguel Gomes, son dernier film, apparemment superbe, Ce cher mois d'août, sort en juin en salles à Paris.



Et enfin João Pedro Rodrigues :

"Le rire n’est pas le seul propre de l’homme. Ce qui caractérise aussi l’humain, c’est le besoin archaïque, moderne, éternel qu’on lui parle de sa sexualité. De toutes ses sexualités. C’est pourquoi des histoires de cul peuvent retenir des salles entières et le cinéma dit pornographique suspendre les audiences dans le propre mystère de leur condition. Depuis qu’il s’est lancé dans le cinéma, c’est tout le programme de João Pedro Rodrigues qui, après O Fantasma et Odete, nous livre avec Mourir comme un homme le chant élégiaque d’une tradition qu’on pouvait craindre perdue : la beauté, la grandeur, la noblesse du travelo." (Libération)

dimanche 24 mai 2009

"Belle Vue" : le Portugal en émeutes



Trois nuits d'émeutes du 7 au 10 mai derniers dans le quartier de Bela Vista à Setúbal. De nombreuses personnes arrêtées. Le quartier bouclé par la police.
Pourquoi ? La cause immédiate : Antonino Santos, un jeune de 20 ans tué par balle dans la nuque lors d'une course-poursuite avec la police après le cambriolage d'une banque. La cause plus générale : les habitants protestent contre les violences policières. La cause profonde : ghettos sociaux, majorité d'immigrés qui subissent, en plus de la misère, les discriminations de toutes sortes de la part du reste de la société.



La solution ???
Sûrement pas le tout-sécuritaire à la mode en France également. Des quartiers occupés, des flics dans les écoles, les soldats qui patrouillent dans les gares... Toujours la même question : à qui profite ce climat de terreur et de peur ?

mercredi 20 mai 2009

Indésirables

"De la France, Solange França, universitaire brésilienne venue passer quelques jours à Paris chez des amis français, n’aura vu que la zone d’attente de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Parce qu’elle était en possession d’une simple attestation d’hébergement et non d’une attestation d’accueil officielle, elle a été remise aussi sec dans l’avion."



Lisez le récit de Solange et de Yves, son ami qui l'attendait à l'aéroport : ICI.

Dans l'Europe Forteresse, la France est très bonne élève, limite faillote.

Si vous avez l'intention d'inviter des amis étrangers à venir vous visiter, prévenez-les : la France "terre-d'accueil-et-des-droits-de-l'homme" n'existe pas.

dimanche 10 mai 2009

Extrait du jour #5 | Luis de Camões | Amour est feu qui brûle

Amour est feu qui brûle et que l’on ne voit pas ;
C’est blessure cuisante et que l’on ne sent pas ;
Ravissement qui ne sait pas ravir ;
Folle douleur qui ne fait pas souffrir ;

C’est ne plus désirer qu’un seul désir ;
C’est marcher solitaire dans la foule ;
Jamais n’avoir plaisir à un plaisir ;
Penser qu’on gagne alors que l’on se perd ;

C’est librement vouloir être captif ;
C’est, quand on est vainqueur, servir qui est vaincu ;
Rester loyal alors que l’on nous tue.

Mais comment ses faveurs font-elles naître
Une amitié entre les cœurs humains,
Si Amour à ce point est contraire à lui-même ?

(Traduit par Anne-Marie Quint et Maryvonne Boudoy
Editions Changeigne, 1998 – Collection Lusitane)



Luis de Camões

En portugais :

Amor é fogo que arde sem se ver;
É ferida que dói e não se sente;
É um contentamento descontente;
É dor que desatina sem doer;

É um não querer mais que bem querer;
É solitário andar por entre a gente;
É nunca contentar-se de contente;
É cuidar que se ganha em se perder;

É querer estar preso por vontade;
É servir a quem vence, o vencedor;
É ter com quem nos mata lealdade.

Mas como causar pode seu favor
Nos corações humanos amizade,
se tão contrário a si é o mesmo Amor?

dimanche 3 mai 2009

vendredi 1 mai 2009

Anniversaire

Le 25 avril dernier, cela faisait 35 ans...
Le 25 avril 1974 a ouvert des portes, comme l'a si bien dit Ary dos Santos.
Après, ce qu'en ont fait les Portugais, de ces portes ouvertes, c'est une autre histoire...



Voir ICI les photos de Michel Puech en écoutant LA chanson du 25 avril.
Lire ICI un reportage du même auteur.


Photo de Alfredo Cunha représentant le capitaine Maia.

Vous avez vu Capitaines d'avril de Maria Medeiros ? Non ? Le capitaine Maia est l'un des héros du film, regardez ici :



Et, à lire absolument : Salazarisme et Fascisme, de l'historien Yves Léonard, aux éditions Chandeigne (édition révisée en mai 2003), pour comprendre ce qu'était la dictature de Salazar.