mardi 23 juin 2009

Saudade do regresso

La jeune chercheuse Caroline Sordia vient de soutenir brillamment son mémoire de recherche en relations internationales, à l’Ecole Doctorale de Sciences Po, sur le retour dans le parcours migratoire des Portugais en France.

Présentation ci-dessous par Caroline Sordia elle-même :

Près de quarante ans après l'exode massif des Portugais vers la France, il est utile de se pencher à nouveau sur cette expérience marquée par la persistance d'un mythe du retour. Réel ou virtuel, organisé ou rêvé, périodique ou définitif, et peut-être tout cela à la fois, le retour constitue une dimension structurante du parcours migratoire des Portugais de France.

Le retour comme horizon oriente en effet les modalités de départ, de la vie en migration et les bifurcations de trajectoires. Les enjeux politiques, économiques, sociaux, professionnels et culturels qui les traversent donnent à cet horizon une signification différenciée selon les générations, le genre et pour chaque individu. Ce constat évacue le « paradoxe du bon immigré » en rappelant combien la conception traditionnelle de l'intégration est extérieure aux références des migrants eux-mêmes. Il interroge aussi sur la gestion sociale et politique d'une diversité culturelle que la France peine à reconnaître.

S'il est omniprésent dans les discours, le retour effectif demeure très minoritaire « à l'état pur ». Il se décline en une multitude de pratiques de va-et-vient, de séjours périodiques qui permettent tout à la fois d'entretenir et de reporter sine die le projet. Les catégories étanches de l'ici et là-bas se trouvent dès lors brouillées par une spatialité bipolaire, avec toute sa richesse mais aussi toutes les tensions inhérentes à la construction d'un entre-deux.

Enfin, par sa singularité et son inscription dans un contexte institutionnel d'ouverture des frontières au sein de l'espace Schengen, l'expérience portugaise pose une exigence de réversibilité des parcours. La gestion actuelle des migrations, en particulier la crispation de l'Europe vis-à-vis de ses frontières extérieures, révèle ainsi un profond décalage entre politiques menées et stratégies des migrants. Face à une fermeture des frontières qui érige le déplacement en problème émerge peu à peu la revendication d'un droit à la mobilité.

Les entretiens avec les premiers concernés permettent de confirmer, mais surtout de nuancer les hypothèses théoriques. L'enseignement le plus fort reste l'hétérogénéité, la complexité et l'irréductibilité des itinéraires individuels, plaidant pour une approche politique davantage axée sur l'accompagnement des parcours. À l'instar de l'ensemble des droits humains, le droit à la mobilité – qui conjugue droit de partir et droit de rester – repose sur l'exigence d'autonomie et d'autodétermination par chacun de sa propre trajectoire. Davantage que l'expérience concrète, et au-delà de la nécessité de « pouvoir revenir », c'est le sentiment de maîtriser son parcours, d'en choisir (et non subir) les bifurcations qui s'avère central. Le retour ressort ainsi d'une aspiration ontologique à donner du sens au chemin, à la quête partagée d'une place en ce monde.

dimanche 7 juin 2009

Citation du jour #9 | José Régio | Noir cantique



"Não sei para onde vou
Sei que não vou por aí"

"Je ne sais pas où je vais
je sais que je ne vais pas par là
"

Tiré du poème Cântico negro de José Régio. Je reviendrai un jour plus en détail sur ce géant de la littérature portugaise.

La version de Cântico negro de Maria Bethânia :



Une version de Cântico negro en français :

Vert-précaire



Où la précarité revêts les habits de la "couleur de l'espoir"...

Extraits d'un article du Monde :

"Créés dans les années 1980 pour les travailleurs indépendants et les professions libérales, les "recibos verdes" sont progressivement devenus le lot d'un travailleur sur cinq au Portugal.
Près de 1 million de Portugais sont considérés comme des prestataires de service.

Mêmes s'ils pointent chaque jour à l'usine ou au bureau, avec des horaires fixes et des collègues de travail qu'ils fréquentent depuis des mois, voire des années, leur patron r
este un simple client à qui ils facturent une prestation et qui peut interrompre la collaboration du jour au lendemain. Pas de congés payés, pas d'indemnités de chômage ou journalières pour maladie.

En revanche, la cotisation à la Sécurité sociale est obligatoire. Très peu de "reçus verts" paient cette contribution, qui est au minimum de 159 euros par mois. Une somme considérable quand on sait que le smic ne dépasse pas 460 euros au Portugal.



Tous statuts confondus (stagiaires de longue durée et CDD), la précarité toucherait plus de 2 millions de travailleurs et 326 000 personnes seraient obligées de cumuler plusieurs emplois pour s'en sortir.

Selon des statistiques officielles, qui ne prennent pas en compte les "recibos verdes", le taux d'emploi précaire atteint 53,3 % chez les moins de 25 ans.


Officiellement de 8,9 % fin avril, le taux de chômage dépasserait en réalité 11 % selon Carvalho Da Silva, secrétaire général de la Confédération générale du travail (CGTP), principal syndicat portugais,syndical, avec une moyenne de 700 destructions d'emplois par jour. Sur le demi-million de chômeurs recensés, 180 000 seraient en fin de droits.
"

Deux blogs (en portugais) pour comprendre la précarité au Portugal :
http://fartosdestesrecibosverdes.blogspot.com/
http://precariosinflexiveis.blogspot.com/

Un concours douteux



Ci-dessous, un texte/pétition d'historiens su sujet du concours « Les 7 merveilles portugaises » qui ignore l’histoire de l’esclavage et de la traite transatlantique.

Il y a environ vingt ans, plusieurs pays européens, américains et africains, ont commencé à affirmer la mémoire douloureuse de la traite des Africains mis en esclavage aux Amériques et à mettre en valeur le patrimoine qui lui est lié. Cette mise en valeur fut traduite non seulement par la publication d’un grand nombre d’ouvrages historiographiques mais s’exprima aussi par la mis en œuvre de projets comme La Route de l’Esclave initié par l’UNESCO en 1994.

Malgré les difficultés et les luttes ayant entouré l’émergence de la mémoire du passé esclavagiste des nations européennes, américaines et africaines, depuis dix ans, la mémoire et l’histoire de la traite atlantique ont commencé à intégrer la mémoire publique de plusieurs pays dans les trois continents entourant l’Atlantique. En 2001, par la loi Taubira, la France fut le premier pays à reconnaître l’esclavage et la traite atlantique des esclaves comme crime contre l’humanité. Aussi en France, le 10 mai est désormais « Journée Nationale de Commémoration des Mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de ses abolitions ». En 2001, à Durban en Afrique du Sud, la Troisième Conférence de l’ONU contre le racisme a inscrit dans ses déclarations finales l’esclavage en tant que « crime contre l’humanité ». En 1992, à la Maison des esclaves dans l’Île de Gorée au Sénégal, le Pape Jean-Paul II a formulé des excuses pour le rôle joué par l’Église Catholique dans la traite transatlantique. En visite en Afrique, Bill Clinton, George W. Bush et le Président du Brésil Luis Inácio Lula da Silva, ont condamné les erreurs du passé esclavagiste. En 2006, Michaelle Jean, gouverneure générale du Canada, en visite au Fort Elmina (site qui fait partie du concours) au Ghana a dénoncé le passé esclavagiste. En 2007, pendant les commémorations de l’anniversaire de deux-cents ans de l’abolition de la traite britannique, Tony Blair a exprimé son profond regret par le rôle joué par la Grande-Bretagne dans le commerce atlantique d’Africains mis en esclavage.

En 2009, le gouvernement du Portugal e plusieurs institutions portugaises dont l’Université de Coimbra, ont choisi le chemin opposé à celui qui vient d’être décrit. Au cours du premier semestre de cette même année, ces institutions ont appuyé la réalisation d’un concours en vue de choisir les Sept Merveilles Portugaises dans le Monde. Dans la liste des sites des merveilles à être élues par le public sur Internet (http://www.7maravilhas.sapo.pt), on y trouve non seulement le Fort São Jorge da Mina (ou Elmina) entrepôt commercial fondé par les Portugais en 1482, mais aussi la Vieille Ville (Ribeira Grande), Île de Santiago au Cap Vert, ainsi que Luanda et l’Île de Mozambique. En décrivant ces sites, l’organisation du concours a omis de s’en remettre à l’histoire et de signaler l’usage qu’avaient ces lieux pendant le commerce atlantique des esclaves. Dans le texte décrivant le Fort Elmina, on y affirme que ce site fut l’entrepôt d’esclaves seulement après l’occupation hollandaise du site, à partir de 1637.

Pour être fidèles à l’histoire et moralement responsables, nous considérons que l’inclusion de ces « monuments » dans un tel concours devrait être accompagnée d’informations complètes sur leur rôle dans le commerce atlantique, de même que sur son usage présent. Le Fort de São Jorge da Mina ou Elmina, par exemple, est aujourd’hui un musée qui essaie de représenter l’histoire du commerce atlantique. Il s’agit d’un lieu visité par des milliers de touristes du monde entier, parmi lesquels plusieurs représentants de la diaspora africaine qui cherchent à y rendre hommage à leurs ancêtres. Le gouvernement portugais, les institutions qui appuient le concours et ses organisateurs ignorent la douleur de ceux dont les ancêtres furent déportés à partir de ces entrepôts commerciaux ou sont décédés sur place. Est-il possible d’envisager de séparer l’architecture de ces sites du rôle qu’ils ont eu dans le passé et qu’ils atlantique et l’esclavage des Africains dans les colonies européennes ? D’après des estimations récentes (www.slavevoyages.org), le Portugal, et plus tard son ex-colonie, le Brésil, furent ensemble responsables pour presque la moitié des 12 millions de captifs transportés par l’Atlantique.

Par respect face à l’histoire et à la mémoire des millions de victimes de la traite atlantique des esclaves, nous venons par la présente dénoncer l’omission du rôle qui ont eu ces lieux dans le commerce atlantique d’Africains mis en esclavage. Nous invitons tous ceux et celles qui sont concernés par la recherche sur le commerce atlantique des esclaves et sur l’esclavage à manifester leur désaccord avec le fait que l’histoire de ce commerce soit banalisée et effacée au profit de l’exaltation d’un passé portugais glorieux exprimé dans la « beauté » architecturale de tels sites de tragédie.

Ana Lucia Araujo, Howard University, Washington, États-Unis
Arlindo Manuel Caldeira, CHAM, Lisboa, Portugal
Mariana Pinho Candido, Princeton University, Princeton, États-Unis
Michel Cahen, Centre d’Études de l’Afrique Noire, CNRS, Bordeaux, France
Christine Chivallon, Centre d’Études de l’Afrique Noire, CNRS, Bordeaux, France
Myriam Cottias, CNRS, Directrice do Centre International de recherches sur les esclavages, Paris, France
Maurice Jackson, Georgetown University, Washington, États-Unis
Hendrik Kraay, University of Calgary, Canada
Jane Landers, Vanderbilt University, Nashville, États-Unis
Jean-Michel Mabeko-Tali, Howard University, Washington, États-Unis
Jean-Marc Masseaut, Anneaux de la Mémoire, Nantes, France
Hebe Mattos, Universidade Federal Fluminense, Rio de Janeiro, Brésil
Claudia Mosquera Rosero-Labbé, Universidad Nacional de Colombia, Bogotá, Colombia
João José Reis, Universidade Federal da Bahia, Salvador, Brésil
Anna Seiderer, Musée Royal de l’Afrique Centrale, Tervure, Belgique
Simão Souindola, Historien, Luanda, Angola